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La zoothèque de Nicolas Philibert

Vincent Vatrican / Les Cahiers du Cinéma n° 488 – Février 1995

Au petit matin, une camionnette file dans la verte campagne, un étrange chargement sur le dos. Ours, antilopes, zèbres, tous ces animaux empaillés sont acheminés vers leur dernière demeure : la Galerie Zoologique du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. Créée à la fin du XIXe siècle, mais fermée au public depuis trente ans, inscrite dans le programme des Grands Projets de rénovation de l’Etat, cette galerie zoologique est réouverte depuis l’automne dernier après trois longues années de travaux pendant lesquelles Nicolas Philibert s’est faufilé dans ses coulisses pour en filmer la lente métamorphose. Une caisse abandonnée là nous donne à lire ce mot : « Ben Hur », un code peut être bien, mais qui suffit à dire l’ampleur des moyens mis en oeuvre, l’aspect monumental de ce chantier pas comme les autres et du bâtiment lui même dont l’intérieur est semblable à la nef d’une cathédrale.

Pour dire vrai, Philibert s’attarde peu sur les aspects architecturaux du Muséum, s’intéressant plutôt à toute la chaîne du travail, taxidermistes et scientifiques qui, dans le secret d’un atelier, peignent, brossent, rafistolent, oeuvrent à la résurrection de ses étranges pensionnaires que l’oubli et la pénombre avaient quelque peu altérés. C’est un perroquet à qui on recolle une plume arrachée, une girafe rajeunie par un magique coup de pinceau, un aigle royal qu’on dépoussière.

Raconté comme cela, Un animal, des animaux pourrait avoir des allures de cérémonie mortuaire, or c’est exactement le contraire : Nicolas Philibert a saisi tous ces spécimens, non pas dans la réalité même de leur mort, mais dans la posture destinée à leur rendre un semblant de vie. Le film tient le pari de cette proposition, ponctué de gros plans d’animaux dont les yeux nous donnent l’illusion que ces corps inanimés nous regardent   comme nous fixaient les mille yeux de verre que Brialy collectionnait dans Lavardin, nous rappelant à l’ordre de cette chaîne de l’évolution à laquelle appartient le règne animal et dont l’espèce humaine fait elle aussi partie. Mais on n’est pas pour autant pris « de haut » on sent passer dans le film, comme en filigrane, un mélange d’ironie et de jubilation, un peu de cette fantaisie qui fait les grands Chabrol. L’étrangeté du film vient de l’absence de tout commentaire   c’était le cas déjà dans La Ville Louvre, auquel Un animal, des animaux ne manque pas de faire penser. Et justement comment taire, sans rien cacher ? En pariant sur la curiosité du spectateur. Elle naît aussi de la diversité même des métiers rencontrés, qui travaillent « en parallèle » c’est donc aussi une affaire de montage   et que Philibert filme d’un oeil malicieux, prosaïque, débarrassé de toute odeur de mort : la gueule d’une pelleteuse fait penser à celle d’un crocodile, une autruche se déplace sur un chariot grinçant et semble couiner d’elle même, etc. Un animal, des animaux nous fait découvrir la manière dont toutes les collections du Muséum sont conservées, répertoriés, tout un système de rayonnages, d’étagères et de vitrines. Voilà qui en rappelle d’autres : cette zoothèque est elle si différente d’une cinémathèque ? Leur mission est identique : il s’agit d’archiver, de restaurer et de montrer. Ici ce sont des animaux, là ce sont des films. Et au milieu de tout cela, il y a ce drôle d’animal qui fait des films : l’homme. Et de son destin muséographique, Philibert s’en amuse le premier.

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