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Nénette

Nicolas Philibert, entré en cinéma après des études de philosophie, assistant entre autres d’Alain Tanner avant de faire cavalier seul (La Ville Louvre, Un animal, des animaux...) et de connaître l’ivresse du succès avec Etre et avoir en 2001, se pose au jardin des plantes. Sans passer le costume du primatologue, il pose sa caméra derrière la vitre qui le sépare d’une vieille dame orang-outan, il regarde, il écoute. Le résultat est touchant, drôle et intéressant.

Singer l’homme.

On le sait avant même que le documentaire ait commencé, Nicolas Philibert va évoquer l’Homme. Parce que le singe est trop proche de notre espèce pour éviter la comparaison, que ces cinq doigts sont trop familiers, tout comme cette position, le menton dans le creux de la main et le coude appuyé sur le genou. C’est visuel. Mais le réalisateur double la comparaison par son dispositif de filmage, l’œil sur le primate, l’oreille tendue vers d’invisibles commentateurs, touristes, vétérinaires soigneurs ou amis du cinéaste. Les commentaires  sont rarement informatifs. Anthropomorphistes, ils finissent par modeler le sympathique primate en éternel reflet. Ici, on voit bien que ce sont les hommes qui imitent les singes, que les cris et rires des enfants remplacent ceux de ce primate mutique, qu’enfin cet animal est un être humain sans convenance. L’animal est trop digne, la caméra trop respectueuse pour qu’on considère autrement qu’avec amusement et une forme d’affection les singeries de Nénette. Comme un enfant, de draps, elle se fait des cabanes, se camoufle sous la paille, mélange le thé de la bouteille dans le pot de yaourt, observe, sans jugement. C’est l’enfant mais aussi le vieux sage, imperturbable, le seul primate capable de rester plusieurs heures dans la même position. Dans son regard, on croit lire la dépression, le mortel ennui. Cela pourrait verser dans le voyeur mais c’est simplement très intéressant, réellement curieux.
 
Une question de regard
« Tout peut devenir intéressant, c’est une question de regard » déclarait Nicolas Philibert en entretien avec Bertrand Braqué et Barbara Levendangeur en 2005, à l’occasion du festival de Nyon, Visions du réel. En tant que documentariste, dans un domaine où la scénarisation est minime, l’importance du regard est une question première dans le travail de l’œuvre, et le film de Nicolas Philibert semble constamment souligner et peser ce système d’observation. 
La première image du film est un très gros plan silencieux sur le visage de Nénette, ses yeux. Au plus près. Au plus près d’un animal spécifique ; non seulement un primate, genre de cousin de l’espèce humaine, mais encore un orang-outan, un singe dont la partie du corps la plus mobile est sans doute le regard. Un observant, pourrait-on dire. On ne sait si Nénette est parfaitement paisible ou prête à mourir d’ennui mais son impassibilité mutique en fait un écho à l’œil de la caméra. De chaque côté de la vitre, l’intérêt est-il commun ? En tout cas, observateur et observé se confondent régulièrement et on finit par attendre le moment peut-être clé où l’on croisera le regard.

Nénette est muette, dans ses yeux, on peut mettre beaucoup, de la curiosité, de l’étonnement poli, de l’indifférence, voire du mépris. Mais dans la conscience de cet anthropomorphisme, la force et l’évidence de ce nouveau documentaire, c’est le regard posé, la confrontation, la rencontre et le nez-à-nez. Avec Nénette, Nicolas Philibert supporte les regards, ces ouvertures sur l’âme, comme des faisceaux bienveillants pleins d’une essentielle curiosité.

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