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Jean-Michel Frodon / La Monde – 2 septembre 1999

Le film commence avec l’arrivée, un soir d’hiver, des protagonistes dans le baraquement militaire désaffecté qui sert de local à l’école du TNS durant la réfection de ses bâtiments. L’histoire sera celle d’une nuit, pendant laquelle les élèves se seraient présentés les uns aux autres le résultat de leurs enquêtes dans Strasbourg, et auraient tenté d’en faire un spectacle. Cette nuit partagée   recréée par et pour le cinéma bien sûr, nuit rêvée, hachée de disputes, de fous rires, d’initiatives magnifiques ou saugrenues, de moments vides, de divisions et de retrouvailles  , cette nuit est le scénario du film.

Ce scénario ne raconte pas l’histoire de la classe 30 du TNS, « sujet » du film, pas celle de Strasbourg, « sujet» des quinze enquêtes des élèves, mais l’histoire de la démocratie. L’histoire de « comment on fait quelque chose ensemble ». De la création d’une collectivité   de corps, de paroles, d’imagination. Le chant et la danse, la nourriture, le sommeil y ont leur part. Des rituels aussi. Cela se met en place par touches, pas du tout dans le symbolisme plat d’une démonstration, mais en construisant des personnages, singuliers, différents.

On est encore assez près de la scène pour songer à Brecht dans cette parabole de la communauté qui, sous les apparences du document brut, laisse assez de place à l’invention de chacun (dont le réalisateur) pour échapper à l’infernal paradoxe de la commande: sans renier l’obligation de montrer chacun « à égalité », la dynamique interne de cette nuit offre à chacun sa place, qu’aucun signe mathématique ne définit par rapport aux autres. Ils ne sont pas égaux, ils sont uniques, et respectés par le film en tant que tels. C’est le grand talent de Nicolas Philbert, son grand respect des gens, ceux qu’il filme, ceux qui regarderont son film, d’avoir su modeler dans la pâte de la réalité cet objet imaginaire, aux formes légères, rieuses, émouvantes, baptisé Qui sait?

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