Les patrons se censurent
Dominique Le Reun / Télérama – 8 novembre 1978
Les 15, 22 et 29 novembre était programmée sur Antenne 2 une série réalisée par Gérard Mordillat et Nicolas Philibert, coproduite par l’Institut National de l’Audiovisuel et Laura Productions, et intitulée Patrons/Télévision. Uniquement composée des interviews de quatorze grands patrons et de plans tournés dans leurs propres usines. Télérama en fait sa couverture et y consacre un article (pages 28 et 29).
Lundi 30 octobre : projection des émissions devant les patrons. Certains n’apprécient pas le spectacle. L’un d’entre eux manifeste sa mauvaise humeur : on le ridiculise, on le laisse moins parler que tel autre… Et ces images d’usines, d’où sortent-elles ? De chez eux. Ils ne reconnaissent pas…
Mardi 31, Antenne 2 annonce que la série est déprogrammée et explique qu’elle a été saisie d’un certain nombre de protestations de la part des personnalités ayant accordé des interviews dont la « diffusion devait être subordonnée à un accord préalable ». En conséquence, la chaîne préfère « attendre que tous les éclaircissements utiles soient apportés », et soumettre la question à son conseil d’administration. A 2 rappelle aussi qu’ « en règle générale, lorsque l’INA fournit un programme produit par lui, la société de programme concernée est en droit de considérer que toutes les garanties ont été prises pour la diffusion ».
Réaction de Gérard Mordillat : cette mesure est « une véritable censure politique, la déprogrammation étant le résultat de pressions directes des patrons sur A2 ». Par ailleurs, il précise qu’il n’a jamais été question de soumettre la diffusion des émissions à un quelconque droit de regard des patrons.
L’INA affirme pour sa part posséder toutes les autorisations écrites habituellement exigées. Et il rappelle qu’une version filmée d’ 1 h 30 (La Voix de son Maître) et une émission de trois heures (Tous derrière et lui devant) ont été réalisées à partir des mêmes documents, et diffusées en salles et sur France-Culture sans provoquer aucune réaction de la part des patrons.
Que leur arrive-t-il aujourd’hui ? Ils mesurent sans doute l’impact de la télévision. Que le portrait du patronat soit diffusé au Studio Logos et à l’Olympic Entrepôt, ou sur une chaîne de radio culturelle, passe encore. Mais qu’on multiplie leur discours sur des millions de petits écrans…
Ce qui est grave c’est qu’une chaîne de télévision se sente obligée de désavouer l’INA sous la pression d’un ou deux d’entre eux. Il serait aujourd’hui dommage qu’A 2 ne diffuse pas ces émissions de recherche qui prennent les téléspectateurs pour des adultes.