Au Jardin des Plantes, l’orang-outan qui nous regarde

Quelle que soit la sympathie que l’on éprouve pour sa rousse héroïne, Nénette est un film borné, fermé. On peut le revoir plusieurs fois, en découvrir de nouveaux détails, on ne sort pas de l’enfermement dans lequel Nicolas Philibert confine son spectateur, à l’image de Nénette, l’orang-outan femelle, doyenne de la singerie du Jardin des plantes de Paris.

Mais l’irritation, voire l’exaspération que suscite cet enfermement sont fructueuses. En les acceptant, on forcera le regard à faire une gymnastique salutaire qui changera un peu la façon dont on voit les êtres au cinéma.

Nénette est donc filmée à travers la vitre sale de la singerie (l’hiver, pour la majorité des séquences) ou à travers la grille de sa cage d’été. On ne voit qu’elle, elle et ses congénères, les autres orangs-outans du Jardin des plantes, que l’on apprend à distinguer les uns des autres. La parenté étroite de la physionomie d’un orang-outan avec celle d’un humain déclenche un mécanisme d’identification fréquent au cinéma. On tente de se mettre à la place de Nénette que l’on voit contempler le monde du dedans, de se faire une idée de l’humanité qu’elle voit. Nous, nous ne faisons que l’entendre.

La bande-son du film est faite des commentaires des visiteurs, des professionnels (les soigneurs, il semble bien qu’on se soit débarrassé du terme « gardien » sans doute trop carcéral), des artistes, qui parlent en regardant Nénette qui les regarde. A plusieurs reprises, le regard triste du grand singe est en plein accord avec les mots, mais on s’aperçoit bientôt qu’il s’agit sans doute de coïncidence, et que dans le cas contraire on ne sera jamais en mesure d’établir la portée de ces correspondances.

Pour prendre un exemple tiré de l’un des plus fameux documentaires de ces dernières années, qui se trouve avoir été réalisé par Nicolas Philibert, Jojo et monsieur Lopez, les héros d’Etre et avoir, étaient devenus des personnages à part entière dans l’imaginaire des spectateurs, nourrissant désirs et nostalgies.

Mais Nénette reste finalement réfractaire à ces projections, un bloc opaque, qui réfléchit d’autant plus brutalement notre impuissance à comprendre qu’elle est presque comme nous. Nicolas Philibert la filme pourtant avec beaucoup de douceur, en harmonie avec le rythme indolent de sa vie quotidienne, avec la lenteur de ses mouvements, encore ralentis par l’âge et la maladie.

Les explications et les commentaires ont beau s’accumuler, scientifiques ou poétiques, le mystère reste entier et cette incapacité à comprendre se fait si violente qu’elle rejaillit sur d’autres expériences de cinéma. On finit par se demander si tous les documentaires ne sont pas les mêmes, qui nous placent dans la situation du visiteur qui s’imagine qu’il comprend l’animal derrière la vitre.

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