La Maison de la radio

Dans La Maison de la Radio, Nicolas Philibert filme d’abord un élément invisible – le son. Des petits bruits familiers aux sonorités oniriques des studios, le cinéaste semble collectionner les environnements sonores, un peu à la manière du chasseur d’orages dont il dresse, au milieu du métrage, un portrait bienveillant. Résultat de cette impressionnante « recollection », le film rassemble et accorde entre eux les morceaux épars d’une partition foisonnante dont le thème pourrait être : « le monde ». Le documentaire a quelque chose d’un ample poème auditif, ambitieux par la variété des registres qu’il explore, rhapsodique dans ses effets de composition et de reprise, vibrant toujours sur le fil invisible de l’écoute.

Mais aussi abstraite que la démarche puisse paraître, le nouveau Philibert ne tombe jamais dans les travers du « collage » expérimental : il y a en effet, derrière cette apparente bigarrure, un art savant du récit et du montage. Le film s’organise par exemple autour d’une progression temporelle sensible (du matin au soir) qui permet de se repérer dans ses enchaînements majeurs. Philibert prête également une grande attention à des situations légères, comiques, voire triviales, lorsque sont mentionnées des anecdotes lugubres (« l’homme décédé d’une balle dans le dos », « les sardines mortes par millions au large du Pacifique »). A partir de données parcellaires, le spectateur s’attache ainsi aux « personnages » dont le film est peuplé, attendri par leur histoire commune, sans que la composition fragmentaire du film nuise à sa parfaite cohésion.

Il est vrai que derrière cette succession de portraits cocasses rôde le spectre de la mort, qui se fait entendre par de discrets échos. Dans La Maison de la Radio, la légèreté des situations côtoie sans cesse le mystère d’un vide creusé par cet élément absent qu’est le son. Un élément spectral, parfois inquiétant, palpable dans des gestes et des regards perplexes (voir celui de Caravaca, ou l’angoisse visible d’une soliste condamnée au silence, un jour de travaux bruyants). Philibert s’attache en fait à restituer la tension que génèrent les voix et les musiques, à décrire la séduction mystérieuse que l’écoute exerce. En cela son film est bien plus qu’une entreprise documentaire ou qu’un film « sur » la radio : c’est une invitation à prendre la mesure de l’écoute et à réentendre.

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