Un cas d’école

Être et avoir commence par une tempête de neige, et se termine par un arbre en fleur. Étant donné le sujet du film de Nicolas Philibert, la classe unique de l’école primaire de Saint Etienne sur Usson (Puy de Dôme), cette façon climatique d’envisager les choses, du fin fond de l’hiver au plein été, est adéquate. On sait en effet que l’école peut être buissonnière et qu’assis aux bancs de l’enseignement républicain, on a tous un jour ou l’autre rêvé à la fenêtre. C’est la méthode bienheureuse du film: regarder au plus près d’une dizaine de gamins et de leur instituteur, pour aller voir ailleurs.

À l’heure où l’école publique est un enjeu politique extrême (l’intégration) et, partant, le gouffre de toutes les chimères pédagogiques (le nouveau ministre de l’Education a sûrement sur le feu un 174e plan de restructuration), Nicolas Philibert, à son allure, celle d’une tortue au galop, exprime «sur le terrain» quelques principes. Par exemple qu’il n’y a rien de tel que l’école laïque pour enseigner les lois de la vie en société, qui ne sont pas seu­lement celles de la contrainte mais de la sociabilité, autant dire, entre autres, celles de la contestation. Cette proposition théorique est à l’oeuvre dans le film. Ainsi quand on découvre monsieur Lopez, l’instituteur, en train d’apprendre aux enfants toutes sortes de b.a. ba, on voit bien qu’il ne fait pas que domestiquer. Dans la foulée, il enseigne le maniement de quelques armes (li­re et écrire) qui, jusqu’à nouvel ordre, sont ce qui se fait de mieux pour s’exprimer.

Nota bene: être et avoir sont des verbes, mais aussi des auxiliaires. Pour avoir une idée de ce double tranchant, il suffit de faire connaissance avec Jojo, un minuscule monsieur de 4 ans dont l’espièglerie n’a d’égale que cette forme d’intelligence rusée que les Grecs anciens appelaient «metis»: un art de l’ à propos qui consiste à saisir la fatalité d’une situation pour la retourner. Ainsi quand Jojo, tartiné de crayons feutres, est sommé d’aller se laver, il invente, pour distraire l’ordre, une histoire de guêpe fabuleuse. Et quand monsieur Lopez tente de le plonger dans un abîme, rapport à l’infinitude des nombres, voilà Jojo qui feint de s’inquiéter qu’une de ses copines ait pris, hors champ, une beigne. Acteur sensationnel de sa vie (a star is born!), Jojo est notre héros.

Du côté des enfants. Mais Être et avoir n’est pas qu’un splendide hommage au dévouement discret d’un homme (monsieur Lopez, instituteur idéal). Dans les marges de sa copie, du côté des enfants, Nicolas Philibert griffonne aussi son Zéro de conduite à lui. Pour le summum de la rigolade (Jojo for ever), mais aussi pour le comble de l’émotion: Nathalie, 11 ans, bouleversante petite fée qui ne veut pas parler, ou Olivier, 10 ans, qu’il ne faut pas trop secouer car son corps est plein de larmes.

Ce n’est pas rien que Nicolas Philibert leur consacre, en toute discrétion, le maximum de son affection.

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